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Avant-propos par Hédia ABDELKEFI Le
colloque sur « La Représentation du désert » s’est
tenu du 22 au 24 novembre 2000 à Tozeur (sud tunisien). Il se situe
dans le prolongement des manifestations scientifiques organisées par
l’Equipe de Recherche en Civilisation et Littérature de Sfax (ERCILIS)
sur l’espace et la problématique de la représentation et ce, depuis
la création en 1997 du projet CMCU avec le Laboratoire Pluridisciplinaire
de Recherches sur l’Imaginaire appliquées à la Littérature (LAPRIL)
de Bordeaux III.
Se proposer de cerner les
représentations du désert relève certes de la gageure. La simple définition
du désert pose à elle seule problème. C’est que, malgré l’exploration
de plus en plus avancée de son espace et les diverses recherches que
celui-ci mobilise, le désert n’a pas épuisé les ressources de
l’insolite. L’attrait qu’il exerce sur tous ceux qui
en font l’expérience directe ou indirecte stimule, fascine, inquiète
et ramène souvent aux termes des différentes investigations dont il
peut faire l’objet le questionnement d’ordre métaphysique
et ontologique. Aussi pour les prospecteurs de tout horizon les enjeux
de leurs entreprises ne sont-ils pas des moindres.
Le désert est certes une
entité géographique. L’appréhension des configurations de la planète,
notamment à la suite de la découverte du Nouveau Monde, a entraîné à
partir du XVIIe siècle la réhabilitation du désert comme réalité topographique.
Avec l’expansion coloniale, il devient un pôle d’attraction.
Les nombreuses expéditions qu’il draine vont marquer de leurs
empreintes l’histoire de la civilisation. La prolifération des
témoignages tout comme, par ailleurs, le développement de la cartographie
ont d’heureuses retombées sur l’histoire des idées. Dans
les domaines littéraire et artistique, le désert offre un motif de choix
aux esprits en quête de renouveau, ce qui fertilisera la poétique de
l’exotisme. Enfin l’envergure de ces nouvelles orientations
a sur l’évolution de l’imaginaire du désert des conséquences
lourdes de sens.
Il va sans dire que, bien
avant les découvertes dont datent les premières cartes du monde, le
désert ne manque pas d’illustrations, comme en témoigne l’histoire
des religions ou celle du nomadisme. De tout temps, il ne cesse d’habiter
l’imaginaire individuel et collectif. Il est au cœur des
mythes et des légendes. Il agit sur notre conscience de l’histoire.
Plus profondément encore, il s’immisce dans les arcanes de notre
inconscient. Autour du désert se cristallisent les tensions, les désirs
et les angoisses, se condensent les sentiments les plus contradictoires.
Il en découle une perception ambiguë de l’espace en termes
de lieu redouté ou, au contraire, de lieu recherché, voire convoité.
La mythologie du désert développe également une série de comportements
où, parmi les impérieuses passions, trône le désir de conquête, celle
de soi, celle de l’Autre. A l’image des forces contraires
qui structurent l’être humain, le désert est le lieu des paradoxes.
Il est à la fois un lieu d’isolement et un lieu de rencontre qui
favorise la prise de conscience de l’altérité. Espace de mort,
il porte en lui la vie par les différents enseignements qu’il
prodigue sur l’endurance et la persévérance. Son infinie étendue
de sable ou de glace rappelle jusqu’à l’obsession la fatale
finitude. Dans une certaine mesure, le mystère dont se prévaut le désert
est redevable à ces paradoxes. S’il légitime la curiosité humaine,
il ne justifie pas moins les tentations les plus contradictoires :
défricher, apprivoiser et maîtriser l’étrange ou bien, au contraire,
s’y exiler et jouir jusqu’à l’extase de l’introjection
du vide. Car, de ce point de vue, aucun autre espace, mieux que le désert,
ne peut frayer la voie à l’absolu inhérent à l’expérience
du dénudement, de la frontière ô combien précaire du rationnel et de
l’irrationnel, ou de la transmutation du Rien en Tout. Le bruit
du silence, dans le règne de l’infini minéral millénaire, a de
telles résonances que se confondent, aux tréfonds de l’âme é-perdue,
à la vue du nu, l’angoisse et la jouissance du néant. La confrontation
de l’homme et du désert, des deux espaces psychologique et géographique,
est souvent appelée à se résorber dans un acte fusionnel où l’interpénétration
opère dans des directions définies par la perception du vide et
du plein : le désir oscille entre l’épuration et la saturation.
Recueillir le vide en soi est au cœur des parcours initiatiques
et des quêtes mystiques : dans le continuum des religions monothéistes,
le désert est un espace d’épreuve, de révélation ; il est
aussi un lieu de retraite et de recueillement. Remplir le vide est au
fondement des programmes les plus sophistiqués de l’homme moderne
qui, au nom de la civilisation, décrète l’invasion de la nature.
C’est ainsi, pensent les uns, que lorsqu’il accède à la
civilisation, le désert acquiert un sens. Pour signifier, rétorquent
les autres, le désert a-t-il besoin d’être transfiguré, défiguré ?
Il arrive alors qu’on remette en question le sens étymologique
du terme : réellement, le désert accepte-t-il, indéfiniment, la
définition consignée dans les lexiques ? Si oui ne serait-il pas
absurde de parler du désert des hommes ? insensé d’enquêter
sur la culture du désert ? Certes, le dénudement accentue l’hermétisme
du lieu, mais cela revient-il à dire que l’espace stérile est
dépourvu de sens ? Certes, par plusieurs aspects, son attrait résiste
à l’intelligence humaine mais, l’émotion suscitée par le
spectacle du désert n’atteste-t-elle pas l’existence entre
l’homme et l’espace d’une communication perçue généralement,
il est vrai, en termes de liens spirituels et de signes occultes
? Au néophyte comme à l’initié, le désert signifie. Certains,
après l’avoir vu, entreprennent d’en parler, d’autres
de le faire parler. Les uns se proposent de déchiffrer ses signes, les
autres de les représenter ou de les réinventer. Les modes d'expression,
tout comme les supports, sont variables. Dans le domaine des arts et
de la littérature, la sémiotique du désert prospère. La valeur référentielle
de la topographie se double d’une portée métaphorique qui féconde
la symbolique spatiale. Lieu d’inspiration et de révélation, le
désert sollicite les forces vives de la pensée et stimule la création.
Ainsi les représentations auxquelles nous convient toutes sortes de
productions sensibles à cet espace insufflent-elles la vie aux rêves
les plus archaïques et ressuscitent-elles en chaque grain de sable,
sur chaque lamelle de glace le mirage de l’étendue nue. Les chercheurs
qui ont répondu à l’appel du désert tunisien en ont rendu compte
à travers des lectures pluridisciplinaires. Les participants que le
colloque sur la représentation du désert a réunis à Tozeur, joyau du
désert tunisien, appartiennent à des domaines de recherche différents.
Pour la plupart, ils sont venus de très loin : du nord des deux
continents américain et africain et de l’Europe. Ils sont venus
parler du désert… dans le désert.
Les interventions ont été rehaussées d’une prestation audio-visuelle
accompagnée de lecture poétique, celle de Lucie Grégoire venue
du Canada offrir à l’assistance subjuguée son spectacle de chorégraphie
inspirée du désert.
Le présent ouvrage publie,
à côté des textes qui nous sont parvenus du colloque, quelques contributions
post-colloque. Dans l’ensemble, le désert a donné lieu a des approches
différentes dans l’espace et dans le temps. Le désert tunisien
était là pour le plaisir des yeux, pour la fête des sens. Il était là
pour que soient confrontés le réel et le fictif, le présenté au représenté.
Pour la plupart, la découverte du désert tunisien a réactivé la mémoire
des lieux et des êtres. Les circonstances ont voulu que l’un des
plus grands nomades du XXe siècle, un amoureux du désert, un écologiste
de renommée mondiale disparaisse le 22 novembre 2000, le premier jour
de la rencontre autour du désert. Dédier le colloque à Théodore Monod
pourrait être notre manière de perpétuer une double mémoire, celle de
Théodore Monod et celle de la rencontre sur le désert, dans le désert
tunisien. |
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